Infos du bureau
Décès Charles PerrotPère Charles Perrot (1929-2013) De lui, beaucoup garderont en mémoire son érudition extraordinaire doublée d'une grande modestie et d'une curiosité permanente de la vie. Un décès survenu dans sa 85ème année et dans la 61ème année de son sacerdoce. Horizon 2014. Le mot du président, septembre 2013Chères amies et chers amis de l'Acfeb, dans un peu moins d'un an, notre association aura vécu un nouveau congrès. Organisé, comme vous le savez, par le groupe Rhône-Alpes, à Lyon. Le thème de ce congrès est "le Peuple de Dieu". Permettez-moi de saisir cette occasion pour nous redire, les uns aux autres, que notre travail de biblistes, d'exégètes, de chercheurs, d'enseignants, d'agents pastoraux "à option biblique", nous engage au service du Peuple de Dieu, tel qu'il se donne à voir notamment dans nos communautés ecclésiales. Quelle que soit la qualité de notre travail de recherche, notre association se définit par un lien subtil entre trois dimensions : recherche scientifique, sens théologique et action pastorale. C'est en ce sens que le thème choisi pour le prochain congrès nous importe. Nous remercions d'avance les organisateurs du congrès de Lyon, nous leur souhaitons bon courage pour la mise en oeuvre de leur projet, et nous nous réjouissons de nous retrouver nombreux en septembre 2014. Mais, pour notre association, ce congrès sera aussi le moment d'une assemblée générale particulièrement importante. En effet, l'actuel bureau de l'Acfeb devra être complètement renouvelé, conformément à nos statuts. Le secrétaire et le trésorier ont été élus à Lille en 2009, pour un mandat de cinq ans qui arrivera à expiration en 2014. Quant à notre vice-présidente et à moi-même, nous avons été élus nous aussi lors du congrès de Lille, mais pour un mandat de quatre ans. Nos statuts permettant une prolongation d'un maximum de deux ans, nous avons sollicité de votre part, durant le congrès de Toulouse en 2011, l'autorisation de prolonger notre mandat pour un an, afin de permettre à son terme de coïncider avec la tenue du prochain congrès. Ce qui fut fait. Nous nous retrouvons donc dans une situation semblable à celle du congrès de Lille : il nous faudra renouveler complètement le bureau. Dans cette optique, je vous invite dès maintenant à penser à des propositions de candidats pour ces quatre postes. Nos statuts prévoient que l'on peut faire acte de candidature : n'hésitez donc pas à offrir vos services à l'association. Mais vous pouvez aussi penser à tel ou telle de vos ami(e)s. C'est l'assemblée plénière de Lyon qui votera. Pour le moment, je souhaite à chacune et chacun de vous de bien reprendre la route, après la coupure de l'été. Je vous souhaite de toujours trouver beaucoup de joie à travailler au service de la Bible, que dans la foi nous accueillons comme la Parole de Dieu. Cordiales salutations,
fr. Luc Devillers OP Président de l'Acfeb Le Mot du Président (février 2013)Chers amis, en ce début d’année 2013 nous voici à mi-chemin entre deux congrès (Toulouse / août 2011, Lyon / septembre 2014). Entre-temps, notre association poursuit sa route sous une forme discrète mais réelle, chaque membre vaquant à ses activités d’enseignement, de recherche, d’engagement pastoral, de publications. Permettez-moi de vous proposer quelques réflexions. Un article de notre Charte fondatrice stipule : « L’Association tient avec une égale fermeté aux caractères que doit avoir conjointement son activité : scientifique, théologique et pastoral. En conséquence, on ne pourra jamais sacrifier ou minimiser l’un de ces points sans mettre en question l’existence même de l’Association » (C.II.2.). Notre association n’est donc pas seulement, ni d’abord, une assemblée d’intellectuels, spécialistes des livres bibliques. Même si nous devons absolument honorer cette dimension, nous le faisons en pleine conscience qu’aucun livre de la Bible n’a été écrit pour le seul plaisir des mots et des images, ou seulement en fonction d’un contexte culturel déterminé, mais pour communiquer un message religieux valable, mutatis mutandis, à toute époque. Même lorsque le nom de Dieu s’y fait rare, ces livres parlent d’Israël ou de l’humanité en rapport – paisible, inquiet ou conflictuel – avec Dieu. Il est donc normal que les Églises chrétiennes aient un rapport spécial avec la Bible. Aucun membre de l’Acfeb, quel que soit son engagement personnel, ne peut l’ignorer ni l’oublier. Un point qui nous a occupés à Toulouse est celui des catégories de membres de l’Acfeb. Depuis plusieurs congrès, nous cherchions à mieux cerner leur identité. Au cours de l’assemblée générale extraordinaire, nous avons fait alors un pas important dans ce chemin de clarification. Les dernières rencontres (Conseil d’administration et assemblée générale ordinaire, 01.12.2012) y ont ajouté de menues précisions. Notre association reste « ouverte à tous les biblistes dont la candidature aura été agréée par son AG dans les conditions fixées par les Statuts et le Règlement » (C.III.1.). Mais elle compte désormais cinq catégories de membres : « des membres actifs, des membres associés, des membres d’honneur, des membres correspondants et des membres émérites » (C.III.2.). Les membres d’honneur sont des biblistes, français ou étrangers, dont l’Acfeb reconnaît « les services qu’ils ont rendus à la cause de l’Écriture sainte » (S.II.6.) ; notre coutume est de décerner ce titre aux membres de l’Acfeb devenus évêques (R.7.). Les membres correspondants sont des biblistes « résidant à l’étranger qui désirent entretenir des relations » avec nous (S.II.4.). Selon nos Statuts (cf. S.II.5.), la nouvelle catégorie des membres émérites est ouverte aux membres (actifs ou associés) qui en font la demande, car ils ne peuvent plus assumer leurs activités bibliques. Nous pouvons interpréter assez largement cette description. Ainsi, nous devons parfois prendre les devants et la proposer à des membres qui, pour diverses raisons – d’âge, de santé ou de situation personnelle particulière – ne participent plus aux activités régulières de l’Acfeb. Si nous ne le faisions pas, nous serions condamnés à nous séparer d’eux. Or, sans faute grave de leur part, oserions-nous les exclure ? Et, à moins qu’ils ne désirent se séparer de nous de leur plein gré, pourquoi leur refuser de continuer à faire partie des nôtres ? Nous risquerions d’être ingrats vis-à-vis de collègues méritants, qui ont beaucoup fait – et parfois continuent encore à faire, sous une forme plus modeste – pour la Bible. Mais, parmi les diverses catégories de membres, les deux principales sont celles des actifs et des associés. Or, sur ce point on sentait depuis des années un malaise. Prenons au sérieux les termes par lesquelles nous désignons ces membres : actifs ou associés. Puisque la Charte nous fait obligation d’honorer de la même façon les dimensions scientifique, théologique et pastorale de notre association, il nous fallait redéfinir ces catégories. Désormais « [p]euvent être membres actifs : a) ceux qui enseignent ou ont enseigné l’Écriture sainte ou les disciplines auxiliaires ; b) ceux que qualifient leur science, leurs publications ou leurs responsabilités pastorales dans le domaine relatif à la Bible, au jugement de l’Assemblée Générale » (S.II.2.). Quant à la catégorie des associés, elle comprend des personnes « qui, en raison de leurs études, de leurs activités pastorales ou de leurs préoccupations, portent un intérêt particulier aux questions bibliques et veulent soutenir l’association dans la poursuite de ses objectifs » (S.II.3.). Des activités ou responsabilités pastorales n’empêchent pas de devenir membre actif. Et un intérêt soutenu pour la Bible, de la part d’une personne non spécialiste ni même engagée à plein temps dans une activité académique ou pastorale, suffit à l’admettre comme membre associé : on lui donne ainsi la possibilité concrète de soutenir l’association – soutien financier par la cotisation, éventuellement par un don ; mais aussi participation à l’organisation matérielle d’un congrès ou d’une exposition – et de profiter de tout l’apport que nos spécialistes pourront y offrir. Cette catégorie pourrait être élargie à bien des personnes que nous connaissons, pour leur profit et le nôtre. Pourquoi nous en priver, étant bien entendu que les conférences scientifiques des assemblées générales et des congrès sont confiées aux chercheurs et enseignants de niveau universitaire ? Avec un synode sur La Parole de Dieu dans la vie et la mission de l’Église (2008) et un autre sur La Nouvelle Évangélisation (2012), l’Église catholique invite fortement tous ses membres à mieux connaître la Bible. Sans prétendre à aucun monopole – de fait, il existe d’autres associations, mouvements et initiatives ecclésiales qui vont dans ce sens – comme le Service Évangile et Vie –, l’Acfeb ne doit pas se tenir à l’écart de cette vague. J’en suis convaincu, elle a aussi un rôle à jouer sur ce plan. Mais cela dépend de l’engagement de chacune et chacun de nous. Merci de votre participation. conférence AcfebAG ACFEB 1-12-2012 Institut catholique de Paris
Pierre Lassave L’APPEL DU TEXTE. SOCIOLOGIE DU SAVOIR BIBLISTE Presses universitaires de Rennes, coll. « Sciences des religions », 2011, 208 p.
Cher Président, Chères et chers amis de l’ACFEB,
Je vous remercie de m’avoir invité à venir vous parler de mon dernier livre d’enquête chez les biblistes, exactement un an après sa parution en fin d’année dernière. Cet ouvrage a déjà suscité quelques commentaires dans les cercles et les revues de ma discipline, la sociologie. Mais assez peu dans les milieux biblistes eux-mêmes, pourtant objets premiers de cette enquête. Sauf exception, comme cette pleine page dans le magazine Le Monde de la Bible de l’été dernier ou dans la dernière livraison de la Revue biblique de l’Ecole de Jérusalem. C’est donc avec plaisir que j’ai répondu à votre invitation pour exprimer de vive voix les résultats de mon étude et les soumettre à votre discussion. Certains d’entre vous ont fait partie de mon échantillon d’enquête et ont lu mon livre, d’autres en ont entendu parler, d’autres encore découvrent seulement ici avec un brin d’étonnement qu’un sociologue puisse s’intéresser à leur métier. Dans cette précieuse petite heure que vous m’offrez, je voudrais répondre à la diversité de vos attentes en abordant successivement et comme par avance trois points d’information et de discussion : - 1. Comment en suis-je arrivé à une telle étude sociologique du milieu bibliste ? - 2. De quoi est fait l’ouvrage qui en résulte ? - 3. Qu’est-ce que j’en tire comme idées fortes un an après ?
1. Comment donc en suis-je arrivé là ? Je confirme d’abord que cette étude qui cherche à identifier tout à la fois la spécificité du savoir bibliste, de ses institutions, de son histoire, de ses parcours individuels, de ses épreuves tant ecclésiales que publiques, que cette exploration sociologique donc est une première en Europe et, sous réserve d’inventaire plus poussé, dans le monde. On reviendra si vous voulez sur les raisons qui ont fait que l’exégèse biblique, pourtant à l’origine lointaine de nos humanités universitaires, soit restée aussi longtemps méconnue de la sociologie des sciences. C’est précisément de la sociologie des sciences et des humanités que se place mon regard sur le petit monde bibliste, vite devenu pour moi un immense continent de lectures, de traductions, de controverses théologiques, d’engagements à vie plus ou moins insondables. Cette rencontre avec vous résulte d’un enchaînement de raisons et de circonstances qu’il me faut résumer en quelques mots. Il y a une trentaine d’années, après un début de carrière de sociologue spécialisé dans les questions de la vie urbaine et des transports, je me suis lancé dans une enquête, également pionnière, de sociologie des sociologues qui passaient tout ou partie de leur vie à référer le changement social à l’aune de l’urbanisation des territoires et des cultures. Auto-analyse de mon côté qui donnait matière à une seconde thèse (vingt ans après une première en économie urbaine), Le ministère urbain des sociologues (publiée en 1997), dans laquelle je montrais comment la sociologie urbaine s’était construite comme spécialité universitaire pendant les Trente Glorieuses en faisant des banlieues l’épicentre de la question sociale, comment ses experts d’Etat étaient passés d’une théorie critique générale de la ségrégation spatiale vers une ethnographie locale des conflits de cohabitation. Au passage, je rencontrais dans cette population savante des destins de chercheurs engagés dans le salut du monde, parfois prêtres ouvriers reconvertis ; d’où mon intérêt très tôt porté aux liens entre science et conscience pour reprendre les termes du célèbre Colloque de Cordoue de 1979. Mais cette enquête directe et intensive chez mes collègues sociologues me révéla aussi toutes les rigidités de l’énoncé sociologique face à l’ambiguïté naturelle des situations vécues. Si bien que je me suis mis à écrire dans la foulée du livre universitaire un roman à partir de mon enquête de terrain pour éprouver les ressources cognitives du mentir vrai. Cette expérience littéraire qui n’est pas allée au-delà de l’enclos éditorial de ma discipline (La seconde thèse, récit publié par la revue de l’Institut de sociologie aux presses de l’Université libre de Bruxelles) m’a conduit par la suite à explorer l’espace des relations entre explication logique et récit de fiction. Un essai d’Habilitation à diriger des recherches en est sorti en 2002, Sciences sociales et littérature, qui développait, textes à l’appui, l’enchainement des liens de concurrence, de complémentarité et d’interférences entre le roman et l’histoire, l’ethnologie et la sociologie. Mais plutôt que de me mettre à professer sur ces questions, j’ai poursuivi ma quête de terrain en me rapprochant du Centre d’études interdisciplinaires des faits religieux de l’Ecole des hautes études en sciences sociales pour prendre comme objet concret d’interactions entre sciences humaines et littérature la fameuse Bible Bayard qui, comme vous le savez, a fait le pari de l’association libre entre exégètes et écrivains pour reconduire à nouveaux frais le texte biblique à notre français contemporain. Nouvelle enquête, nouveau livre en 2005 : La traduction des alliances. Et c’est là que par l’étude comparée des traductions, j’ai fait l’expérience très matérielle de la densité et de la plasticité du texte biblique. C’est à ce moment aussi que j’ai découvert votre savoir herméneutique, une science humaine à part entière que je ne devinais pas à la fois aussi ancienne et aussi vivante encore. Le petit succès d’estime rencontré par les séries d’Arte de Mordillat et Prieur sur l’origine du christianisme, qui plaçaient ce savoir sous les feux de la rampe, me convainquait alors qu’il y avait là quelque chose qui dépassait le seul horizon des confessions dans un monde sécularisé et en proie au brouillage général des repères historiques. C’est ainsi que j’ai pris les exégètes bibliques comme objets d’enquête à part entière, à l’instar de mes sociologues urbains antérieurs. Mais on le devine : deux poids deux mesures ! Autant le défi méthodologique de l’enquête chez les sociologues était celui d’une trop grande proximité entre eux et moi, autant celui de l’enquête chez les biblistes était celui d’une trop grande distance. Je ne suis en effet ni philologue, ni historien de l’antiquité, ni encore théologien. On sait de surcroit que nul n’entre là s’il ne maitrise parfaitement les quatre langues de base de la Bible qui selon une célèbre boutade sont pour un petit français : l’hébreu, le grec, le latin et l’allemand ! J’ai donc dû faire de nécessité vertu : d’abord, en assistant à divers cours de langues et de théologie pour juste lire d’un peu plus près ces textes qui croissent avec leur lecture mais brûlent aussi les doigts ; ensuite, en tablant précisément sur mon extériorité au milieu pour rejouer les Candide ou les Usbek et Rica. Ce qui m’intéressait alors était de reconnaître les grandes étapes d’une histoire intellectuelle qui plonge ses racines dans la rédaction plurielle et le contenu exégétique même des livres canoniques et remonte jusqu’aujourd’hui, via les Pères et les docteurs de l’Eglise, pour former les disciplines universitaires de nos humanités modernes. C’était aussi de comprendre que l’expérience chrétienne du divin incarné en personne pouvait rejeter comme futile la connaissance purement intellectuelle de ses premières traces littéraires. « Malheureux êtes-vous légistes, vous qui avez pris les clés de la connaissance : vous n’êtes pas entré vous-même et ceux qui voulaient entrer vous les en avez empêchés ! » Mise en garde vigoureuse de Jésus contre l’exégèse en Matthieu 11,25, sans doute à l’adresse des pharisiens, mais qui m’intriguait d’autant plus que l’histoire du christianisme s’était pourtant distinguée par des sommets d’explication de ses textes de révélation. Pour comprendre ce paradoxe apparent, je me demandais ainsi par quel mécanisme la démythologisation de Jésus selon Rudolf Bultmann, au principe d’une lecture existentielle des évangiles, pouvait avoir encouragé la définition minutieuse de toute une batterie de critères d’authentification de leurs traditions constitutives, par dissemblance et congruence. Sophistication de méthodes dont les philologues d’Homère pouvaient d’ailleurs bien être jaloux ! Loin de moi, comme vous voyez, toute idée dualiste opposant le Jésus de l’histoire au Christ de la foi ou encore la modernité à la tradition.
2. J’en viens donc à mon second point : qu’est-ce que je tire de mon voyage au pays des biblistes ou de quoi se compose mon livre ?
Ce livre condense plusieurs années d’examen de l’histoire de l’exégèse biblique, de ses manuels de méthode, de ses essais les plus marquants ; il résulte aussi de centaines d’heures d’enregistrement de témoignages personnels divers, de journées denses d’assistance aux grands colloques, de visites des lieux de la transmission du savoir à travers l’hexagone mais aussi en Suisse, en Belgique et au Canada. Je regrette beaucoup d’ailleurs de n’avoir pu trouver le moyen d’un séjour à l’Ecole biblique de Jérusalem pour confirmer les liens noués avec certains de ses membres. Cinq chapitres composent l’ouvrage, soit aussi cinq angles d’approche d’un objet qui se révèle progressivement au fil de l’examen de ses multiples facettes.
-> Premier angle : le savoir bibliste. Qu’est-ce que cette activité intellectuelle a en propre ? L’exégèse est sa compétence centrale avec son double mouvement d’extraction (ex) et de détermination (hegesthai, conduire) du sens d’un texte premier. Une boutade du milieu l’oppose précisément à « l’eiségèse » (eis, dans) qui à l’inverse instrumentalise l’écriture sainte en y prélevant sans recul les preuves d’un dogme fixé a priori. Comme Hans-Georg Gadamer l’a théorisé, l’exégèse pose au contraire un regard stéréoscopique sur le texte biblique : elle s’interroge d’un œil sur ce qu’il pouvait dire à ses lecteurs ou auditeurs contemporains, et de l’autre sur ce qu’il peut signifier encore des milliers d’années plus tard compte tenu de tout ce qui a été dit sur lui dans l’intervalle (zwischen). Vous le devinez : j’ai délibérément écarté de mon angle d’approche de l’épistémè bibliste les lectures littéralistes qui nient la multiplicité native et progressive des sens d’un texte. Ont été tout autant écarté les lectures historicistes qui font l’impasse sur le travail du sens au fil du temps. Ce qui qualifie le savoir bibliste dans ma perspective c’est donc, hors de tout antagonisme réducteur entre science et foi, ce qui précisément met en dialogue sur longue durée les disciplines critiques de l’authentification et celles de l’attestation, ces dernières pouvant avoir une visée distinctement théologique, philosophique ou anthropologique. Identifier ce point focal qui oriente l’enquête dans les bibliothèques et les facultés de théologie et de sciences humaines, ne veut pas dire pour autant qu’on se désintéresse du champ politique dans lequel l’exégèse s’éprouve contre les réductionnismes ou les intégrismes de tous bords, bien au contraire, comme on le constatera plus bas à propos des controverses médiatiques. Je vous passe les grandes étapes de la formation de ce savoir bibliste à l’origine des sciences philologiques et historiques actuelles. Je ne vous apprendrais pas grand-chose en retraçant par exemple avec vous les deux chantiers que j’ai explorés sur la composition rétrospective des Penta ou Hexateuque ni sur les trois quêtes du Jésus historique. J’évoquerai seulement et plus généralement cet espace de positions sous-tendu par quatre points cardinaux qui m’est apparu au fil de mes lectures : en haut la théologie, en bas l’histoire ; à gauche la question de l’auteur, à droite celle du lecteur. Dans de grands mouvements de balancier et face aux obscurités du texte au regard de la raison, l’attention s’est ainsi portée, à partir du XVIIe siècle, de la théologie d’en haut vers l’histoire d’en bas tout en restant fixée sur la question de l’identité de l’auteur, divin absolu ou humain pluriel et inspiré (les fameuses controverses autour de l’inexplicable récit de la mort de Moïse par lui-même à la fin du Deutéronome). Puis, les limites interprétatives rencontrées par la méthode historico-critique au XXe siècle ont progressivement déplacé l’attention vers celle de l’acte de communication qui se joue dans un texte qui s’augmente à chaque lecture ; déplacement latéral de gauche à droite nourri d’analyses sémiotiques, rhétoriques et narratologiques qui tendent à renouer par en haut les liens avec la théologie, par exemple la lecture synchrone dite canonique, mais pas seulement comme je l’ai suggéré, puisque la connaissance anthropologique peut tout aussi bien participer à cette œuvre d’interprétation. Voir par exemple la lecture que René Girard fait du sacrifice de Jésus comme renversement révolutionnaire de la figure du bouc émissaire. Mort-Résurrection du Christ qui mettrait ainsi un terme à la fatalité sanglante du désir. La lecture dite synchronique peut tout autant déceler dans la moindre variante textuelle la trace d’un rite processionnel (l’analyse du Lévitique par l’anthropologue Mary Douglas) ou la figure rhétorique d’une adresse plurielle délibérée plutôt que d’un cumul empirique de traditions (les douze paniers de restes de pain et poisson à l’adresse du peuple juif ; les sept à celle des païens de la Décapole, en Marc 6 et 8). Et comme vous le savez, sur ce dernier exemple de la multiplication des pains, la clé théologique de cette composition se trouve en Marc 7, à la charnière des deux séquences, puisque la fameuse parole, « Rien de ce qui pénètre de l’extérieur dans l’homme ne peut le rendre impur… », peut signifier que l’eucharistie est source de communion sans distinction d’origine. Plus prosaïquement, j’ai rendu compte de la question de savoir si l’exégèse biblique pouvait être considérée comme une discipline universitaire à part entière. Certains le pensent en faisant valoir sa formation longue et son épistémologie délibérément inductive, relevant de ce que l’historien Carlo Ginzburg appelle le « paradigme indiciaire ». D’autres y voient plutôt un art de faire, tant l’exégèse emprunte à de multiples disciplines qui ont pris leur autonomie, souvent à partir d’elle d’ailleurs. D’autres encore s’en tiennent à ce que Michel Foucault appelait un savoir : soit un simple espace de production et de validation d’énoncés de disciplines diverses réunies par un objet commun, ici les écritures saintes mais aussi et fatalement l’anthologie pratique de leurs interprétations raisonnées au fil du temps. Mais à vrai dire, les choses idéales de la logique ne font pas toujours bon ménage avec la logique des choses, telle qu’ici en France la séparation entre les facultés de théologie et les facultés de lettres et sciences humaines qui obère toute reconnaissance disciplinaire de l’exégèse biblique, à la différence par exemple des Biblical Studies américaines. Qu’on me comprenne bien : derrière le constat de ce handicap, il est hors de propos pour moi de déplorer la séparation des Eglises et de l’Etat qui est au principe de notre régime de laïcité républicaine. Les causes de cette situation sont plutôt à rechercher du côté des conflits d’intransigeance qui traversent les institutions de tous bords. L’anticléricalisme d’un côté et la « crise moderniste » dans l’Eglise catholique égrènent en effet une part de l’histoire des passions françaises, jusqu’aux tensions d’aujourd’hui autour du « mariage pour tous » !
-> Voilà qui m’amène au second angle d’approche que j’ai appelé de façon un peu provocatrice « l’évangile culturel ». J’y relate mon petit voyage hexagonal à travers les institutions d’enseignement et de recherche. Par construction donc, j’ai exclu de mon périmètre les lieux les plus confessionnels qui n’accordent par principe qu’une place subsidiaire à la critique exégétique. Inclure ces établissements, tels l’Ecole cathédrale de Paris ou la faculté évangélique de Vaux-sur-Seine ou l’institut orthodoxe Saint Serge ou même encore le Collège des études juives, aurait décentré l’enquête vers la question de la survivance ou des transformations de telle ou telle tradition théologique. Pour autant, les diverses facultés de théologie de Paris, de Strasbourg, de Lyon et de Montpellier ont la part belle dans mon objet, aux côtés de quelques chaires de l’Ecole pratique des hautes études, de la Sorbonne et du Collège de France, sans parler de l’Ecole biblique et archéologique française de Jérusalem, ou même encore de l’Institut biblique pontifical de Rome, autre passage obligé du cursus studiorum du prêtre bibliste accompli (au risque cependant ici de sortir de l’épure). Paysage universitaire de ruines cependant, où se lisent en creux : la division entre obédiences protestante et catholique, l’ancien conflit franco-allemand, la séparation des Eglises et de l’Etat, la sécularisation accélérée depuis l’après-guerre qui se traduit par la réduction de l’offre à quelques lieux précis. L’enclave concordataire de Strasbourg en constitue ainsi un pôle notable avec ses commissions d’évaluation et de recrutement relevant du Conseil national des universités et Paris concentre l’essentiel des flux interdisciplinaires et internationaux de formation. Je passe sur cette histoire trop bien connue de vous pour m’arrêter sur deux points : Premier point : « Le combat pour la Bible en Eglise », comme disait le titre des mémoires de Pierre Grelot, semble s’être réduit aujourd’hui à la maintenance à flux tendus de ses agents de transmission. Ceux-ci sont débordés de tâches pédagogiques, pastorales et administratives qui grèvent toute participation innovante au mouvement mondial de la recherche. Dans le même temps, la demande de connaissance des sources se diffuse dans un monde laïc qui ne peut souvent trouver réponse que dans l’érudition dispensée par la mémoire enseignante des Eglises. La progression des effectifs des cours du soir et par correspondance ou le succès d’audience des conférences et émissions exégétiques, notamment auprès d’un public aux cheveux gris et blancs à la recherche de clés de compréhension, atteste ce paradoxe. Second point : aussi bien dans l’offre que dans la demande, la circulation du savoir bibliste s’affranchit relativement des cadres confessionnels et nationaux hérités du passé, ce qui renforce les réseaux d’interconnaissance horizontaux, sociétés savantes qui se déclinent dans un éventail qui va des Eglises aux Universités : par exemple, l’ACFEB œcuménique des années 1960, le CADIR sémiotique des années 1970, ou le RRENAB narratologue et francophone des années 2000. Des coopérations durables se nouent avec les universités des pays voisins, telles que celles de Lausanne et de Louvain. Des laboratoires du CNRS s’associent aux réseaux thématiques tels que ceux sur l’étude de la Septante ou des Apocryphes. A cela s’ajoute les multiples initiatives publiques où l’expertise est requise tant pour son savoir archéologique que pour sa perspective théologique : voir par exemple les expositions de la BNF sur la Torah, la Bible et le Coran ou sur les manuscrits de la mer Morte. Ces deux points soulignés m’ont ainsi conduit à parler d’« évangile culturel » avec quelques chiffres clés, toutes institutions confondues : une centaine de professeurs, un millier d’étudiants et le triple d’auditeurs, un million de téléspectateurs (émissions Arte mentionnées). Ces chiffres peuvent varier du simple au double suivant les critères retenus, mais les sauts logarithmiques demeurent.
-> Le troisième angle d’approche, intitulé « Colloques traversés », restitue sur un mode narratif et parfois humoristique les échanges vivants et parfois vifs entre narratologues et historiens ou entre théologiens et exégètes à la tribune, dans les couloirs et les repas des colloques. Il donne des couleurs, des postures et des silhouettes aux organigrammes et aux noms d’auteurs. Il souligne aussi au fil des années d’observation ma propre progression dans le milieu qui m’a vu par exemple aider le bureau de l’ACFEB à ranger son armoire d’archives. Touchant petit meuble perdu dans un couloir de cette grande maison ! Et surtout à dresser un premier tableau statistique de l’association (Odile Flichy s’en souvient bien !) : près des trois-quarts ayant dépassés le seuil de 65 ans et les nouvelles recrues, plus jeunes, attestant d’une féminisation et d’une laïcisation relative de ses membres. J’y reviendrai.
-> Le quatrième angle d’approche va à la rencontre plus précisément des parcours de biblistes sur plusieurs générations. Pour comprendre ce qui fait encore l’engagement à vie dans l’étude d’un même corpus textuel, gage de la qualité de bibliste, j’ai dû remonter aux itinéraires tourmentés des précurseurs et acteurs de la crise moderniste. Par exemple, un Renan intérieurement divisé se prenant pour un « hircocerf » (mélange chimérique de cerf et de bouc), un Lagrange réduit à confier la nuit à la Vierge Marie ses déboires avec la hiérarchie, un Loisy confessant tel Galilée (Eppur si muove !) qu’il ne peut détruire en lui-même le résultat de ses propres travaux. Entre ces premiers serviteurs souffrants de l’exégèse et les enseignants débordés d’aujourd’hui, plusieurs générations se sont succédé à cheval entre les institutions confessionnelles et laïques. Au combat pour la Bible en Eglise jalonné par le Divino Afflante de 1943, le Dei Verbum de Vatican II et le plus récent document pontifical de 1993 sur l’interprétation, a correspondu dans l’Université ce que Marguerite Harl appelle dans ses mémoires la « revanche d’Erasme », soit la reconnaissance partielle du savoir bibliste. Ce mouvement se confirme dans et par le développement de travaux historiens récents sur l’invention et le devenir de la critique bibliste. Je pense tout particulièrement à ceux du regretté François Laplanche et à ceux de Pierre Gibert, heureusement ici parmi nous. Fort de ces jalons et de divers autres témoignages publics, comme ceux par exemple de Xavier Léon-Dufour, de Pierre Grelot, de François-Paul Dreyfus, de Jean Bottéro ou d’Alain Marchadour, j’ai pu aller à la rencontre directe d’un échantillon de parcours significatifs à divers égards. Très vite dit : André Paul ou la sortie du savoir bibliste dans l’espace public ; Jean-Noël Aletti ou l’exploration intensive de la mécanique paulinienne ; Daniel Marguerat ou la reprise de soi à travers celle du lien narratif ; Etienne Nodet ou la redécouverte de l’institution par son détour ; Anne-Marie Pelletier ou la structure duale d’une trajectoire ; Thomas Römer ou l’exil biblique fait chaire de Collège de France ; Katell Berthelot ou la stratégie de l’appel du texte. Autant d’auteurs et de sous-titres en forme de « clip » pour des parcours nettement plus complexes que je retrace dans le détail de leurs faits générateurs, de leurs bifurcations imprévisibles, de leurs enchainements rétrospectifs au travers desquels se forgent des quêtes distinctes. Où l’on retrouve ici les célèbres themata définis par l’historien des sciences Gerald Holton, ces thèmes qui poursuivent le chercheur à vie en suscitant parfois des découvertes surprenantes. Il me faudrait bien plus de temps pour préciser les traits de cet échantillon témoin embrassant plusieurs générations et confessions. Retenons au moins cette expression, « l’appel du texte », qui donne corps à l’ensemble des itinéraires rencontrés dont la plupart sont présentés comme résultant de concours de circonstances, de rencontres, d’errements et de déclics décisifs. Culte commun du texte dont les difficultés d’accès au sens occupent (lectio difficilior probabilior) et justifient les états successifs de vie avec une tendance statutaire lourde allant des Eglises vers les Universités.
-> Le cinquième angle d’approche enfin nous plonge dans différentes affaires médiatisées où nos biblistes se voient mis à l’épreuve du public. Situations qui se sont multipliées ces dernières années à la faveur de l’idée entretenue par la presse que les gardiens du texte ne peuvent plus longtemps cacher leurs secrets. Nous ne sommes plus à l’époque des scandales réservés à l’intelligentsia parisienne et cléricale comme celui provoqué par Renan avec sa Vie de Jésus mais à un moment où le dévoilement des sources scripturaires suscite tout autant des accusations de blasphème qu’il ravive de l’autre bord l’éternelle théorie du complot, ce qui fait le bonheur de l’industrie culturelle. Sans ses audaces de langage, la Bible Bayard n’aurait pas ainsi rencontré son heure de gloire médiatique et en même temps, comme je l’ai montré, la dynamique exégétique et poétique originale qui a porté cette traduction n’aurait pas vu le jour sans l’alliance de fait entre intérêts missionnaires, commerciaux et intellectuels forts divergents les uns des autres. De ce point de vue, les attaques des milieux intégristes ont été paradoxalement les meilleurs atouts de cette expérimentation littéraire, vite taxée de progressiste par la presse. De l’efficace des équivoques ! J’ai retrouvé le même parfum de discorde concordante (ou de Productive Misunderstanding comme disent les anthropologues américains) dans les affaires médiatisées où le savoir bibliste était mis au-devant de la scène, comme dans les émissions citées d’Arte où certains exégètes confirmés ont accepté d’entrer dans le jeu jusqu’au moment où le montage télévisuel de leurs hypothèses déformaient leur point de vue. Je parie même que notre cher Loisy s’est à nouveau retourné dans sa tombe quand la dernière série de Mordillat et Prieur sur l’Apocalypse a transformé sa fameuse phrase « Jésus annonçait le Royaume et c’est l’Eglise qui est venue » en un slogan anticlérical parfaitement opposé à la démonstration qu’il voulait faire sur la continuité originelle entre Jésus et l’Eglise ! L’examen des volumineux dossiers de presse issus de ces séries mais aussi d’autres événements comme l’aventure rocambolesque de l’Evangile apocryphe de Judas pillé dans une sépulture de Haute Egypte, vendu au souk du Caire dans une boîte à chaussure, puis soigneusement déposé dans le coffre-fort d’une banque américaine et enfin restauré et publié à grand renfort de finance internationale ; ou bien encore cette course au succès populaire du Da Vinci Code enrôlant une série hétérogène d’opérateurs de tourisme, d’acteurs vedettes et d’historiens puisant allègrement aux sources de l’exégèse… Tous ces « affaires » analysées dans leurs cours d’action m’ont confirmé dans l’idée que l’avenir de l’exégèse biblique se jouait aujourd’hui dans un incessant jeu de chaises musicales entre compétences diverses mais interdépendantes. Ainsi deux cinéastes non biblistes ont-ils pu devenir en quelques années experts nationaux en origine du christianisme ; des historiens ont-ils pris le relais des exégètes pour justifier ou contrecarrer la légende noire ou rose de Judas ; des biblistes protestants ont-ils parlé pour leurs collègues catholiques un peu bousculés par leur pape déplorant en bon théologien que leurs critiques historiques, selon lui pourtant absolument nécessaires, se complaisent parfois dans un « cimetière d’hypothèses contradictoires » (J. Ratzinger-Benoît XVI). Et ainsi de suite, à proportion de la montée en régime des intermédiaires de la connaissance qui créent aujourd’hui de nouvelles entreprises éditoriales, telles que par exemple celle du magazine Le Monde des religions. Après ce cinquième angle d’approche évoqué, il est temps maintenant de répondre à ma troisième question :
3. Qu’est-ce que je retire comme idées principales, un an après la publication de cette enquête ?
J’évoquerai ici seulement trois points pour laisser plus de place à notre discussion… > Premier point… Ce qui resterait à faire. On me dit en effet : c’est très bien d’avoir levé un coin de voile sur une compétence intellectuelle discrète et remarquable mais ne faudrait-il pas confirmer les conclusions sur son devenir en allant voir au moins en Allemagne, en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis ? On me dit aussi : le travail fait sur l’exégèse critique ne mériterait-il pas d’être confronté à d’autres traditions et opérateurs exégétiques, au moins avec ce qui se passe autour du midrash rabbinique et de la science du judaïsme ou bien encore autour du tafsir/tawil coranique divisé dès l’origine entre de multiples écoles ? Ces questions restent ouvertes pour un programme de recherche collectif mais dépassent comme vous l’imaginez mes faibles capacités et mes intentions. Il est clair que le cas français abordé ici demeure fortement dépendant du complexe biblique que ce pays de séparation entretient depuis plusieurs siècles et qu’il risque de constituer à cet égard encore une exception dans le concert des nations occidentales.
> Second point… S’il y a quelque chose à retenir de ma rencontre avec le savoir bibliste, c’est entre autre cet alliage original entre critique historique et sens théologique ou philosophique ou existentiel ; symbiose spécifique sans laquelle aucune interprétation de texte n’atteint le caractère plénier qu’il recèle en lui-même. Une part de ce lien entre le sujet et l’objet de la connaissance est bien connue dans l’histoire des sciences dures : l’astronome Kepler n’aurait jamais pu passer du cercle à l’ellipse pour expliquer le mécanisme céleste si sa foi chrétienne n’avait pas cultivé chez lui le sens de l’harmonie du monde. Des thèses ont été écrites sur la relation entre l’appartenance d’Einstein à la culture juive et sa théorie de la relativité. Toutes proportions gardées, la conviction que les évangiles tiennent à un événement qui bouleverse sa propre existence en même temps que l’histoire humaine a étrangement libéré l’analyse systématique des diverses traditions pré et postpascales variablement raboutées en chaque livre pour des audiences différentes. On doit à cette aventure obstinée de discernement la démultiplication des statuts du Jésus historique à travers ce que l’écriture de la foi peut dire à la raison deux millénaires après l’événement fondateur : rabbi dissident, maître de vérité, figure intemporelle de rédemption, modèle de morale universelle, et bien d’autres lieux encore. Autant de modes d’existence qui ont forgé des composantes qui se complètent l’une l’autre au fil du temps. Congruence plurielle qui discrédite toute idée univoque de véracité un temps prônée par un positivisme historien aujourd’hui dépassé.
> Enfin dernier point… L’exégète critique de la Bible appartient-il à une espèce en voie de disparition ? Les statistiques de vieillissement du milieu et de renouvellement dispersé et à la marge ne peuvent pas ne pas rendre cette question alarmante. Il est clair en effet que, plus en France qu’ailleurs, la génération de prêtres et de religieux qui a assisté et parfois participé aux évolutions doctrinales de Vatican II risque d’emporter avec elle sa culture exégétique acquise à l’ombre d’une Eglise en état de survie. Le lecteur extérieur comme moi lui doit en tout cas les riches heures de la collection « Lectio Divina » au Cerf ou de celle, côté genevois, du « Monde la Bible » chez Labor et Fides. Moins massif, le même déclin générationnel s’observe en effet du côté protestant. Menace donc de disparition d’un savoir qui s’avère bien paradoxale car, au même moment, les quêtes individuelles de repères créent une certaine demande sociale de connaissance en direction des sources scripturaires. Il n’est pas question ici de jouer les Cassandre et encore moins de regarder l’avenir dans le marc de café ou de faire des recommandations inappropriées. Toutes postures qui m’ont toujours été étrangères. Mais de l’étude minutieuse des affaires récentes où la compétence exégétique était mobilisée jusque dans l’espace public, je retiens l’idée que la rencontre heurtée entre visions divergentes produit des dynamiques collectives qui valorisent l’intelligence critique fondée sur une longue tradition herméneutique. Le sort du savoir bibliste se joue pour une part dans sa présence directe ou indirecte dans ces configurations conflictuelles. Depuis l’Académie protestante de Saumur ou depuis Richard Simon côté catholique, les obscurités et les contrariétés du texte biblique au regard de la raison expérimentale naissante au XVIIe siècle n’ont cessé de provoquer débats et combats. Aujourd’hui, l’élargissement de ceux-ci aux espaces œcuméniques, universitaires et médiatiques assure le devenir de l’exégèse critique, sa notoriété minoritaire de savoir aussi dense que faillible et les nouvelles vocations humanistes qui peuvent en renaître. Là est sans doute un des lieux fragiles mais vitaux du monde du texte que Paul Ricœur théorisait. Voilà donc quelques remarques qui forment tout autant de questions pour notre discussion. Je vous remercie de votre généreuse attention.
Pierre Lassave Centre d’études interdisciplinaires des faits religieux (EHESS-CNRS)
Appel de cotisation 2013Appel de Cotisation pour l’année 2013
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