Décès du Fr. Irénée à l'Abbaye d'En-Calcat

« Ne fallait-il pas que le Christ endurât ces souffrances pour entrer dans sa gloire ? »
(Lc 24,26, évangile de ce jour)
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Au terme d’un combat douloureux
ce 11 avril 2012
mercredi de Pâques
notre frère Irénée (Gilles) Compagnon
a rejoint le Christ son Seigneur
Il était né à Lyon le 2 octobre 1963
profès d’En Calcat depuis le 23 juin 1995
Gilles avait choisi  le nom d’Irénée  (« la Paix »)  à  cause  de  sa  ville  natale,
Lyon, dont saint Irénée est  le patron, et pour obtenir  cette  paix  du  cœur
dont il avait si grand soif. C’est pour mener jusqu’au bout et dignement une
lutte difficile qu’il était devenu moine.
Très  doué  en  de  nombreux  domaines,  il  ne  savait  se  donner  que
pleinement, parfois dans  l’excès.  Il  avait  aimé  les  études,  il  continua  à
étudier avec passion la Bible, à l’Institut Biblique de Rome, puis à  l’Institut
Catholique de Toulouse où il enseigna l’hébreu ces trois dernières années. Il
a été responsable de la formation en communauté et  encore responsable de
la commission de liturgie.
Au retour de Rome,  après  avoir  été  cellérier  pendant  quatre  ans,  il  était
devenu depuis peu notre  infirmier,  faisant preuve d’une grande délicatesse
pour nos anciens. Cela n’empêcha pas  la maladie  de  le  harceler  dans  son
corps et dans son esprit.
Nous le confions à votre prière, avec notre peine et notre désarroi.
La messe d’enterrement aura lieu ce samedi 14 avril à 15h00 à En Calcat.
Le Père Abbé et la Communauté
Abbaye Saint Benoît d’En Calcat
81110    DOURGNE
    F R A N C E
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 En Calcat le 14 avril 2012 Obsèques de notre frère Irénée
 
Gn 32, le combat de Jacob
Mc 16, 9 -15, évangile du jour (samedi in albis)
En ce samedi de Pâques, frère Irénée nous amène à rebrousser chemin, à revenir
avec lui, avec stupeur et surprise, au samedi saint, près du tombeau. Nous pensions
que nous étions arrivés à Pâques, et il y avait bien des raisons de rendre grâce,
d’entrer dans la joie du Ressuscité, mais lui, frère Irénée, faisait encore son chemin
de croix, comme tant d’autres personnes de par le monde et parmi eux des moines,
des prêtres, des religieux, parce que Dieu appelle à la vie consacrée des gens qui ont
un immense désir et besoin d’être sauvés, pas des gens pour qui ça roule tout seul.
Ce même mercredi où frère Irénée nous a quittés est arrivée une lettre, de quelqu’un
que je ne connais pas, qui ne connaissait pas En Calcat, mais qui a été bouleversé
pour avoir entendu, Vendredi saint à la radio, frère Irénée chanter les Lamentations
de  Jérémie ; il écrit : « Je reste encore sous  le choc émotionnel de cette sublime
interprétation des Lamentations de Jérémie : difficile de ne pas avoir été saisi aux
entrailles. C’est rare qu’un soliste parvienne, à ce point, à nous entraîner dans un tel
ressenti, aussi profond : que ce moine en soit vivement remercié et félicité pour sa si
intense intériorité, son grand calme. » Est-ce que c’est la lettre d’un esthète que la liturgie  fait s’évader, décoller du réel ?
Pas du tout. Cette longue lettre vient de quelqu’un qui habite la banlieue parisienne,
qui me dit la fragilité des couples autour de lui, et la joie du métissage de ses petits-
enfants, en concluant : « Telle est la réalité colorée de  notre banlieue que nous
aimons ».
Je sais que cette lettre t’aurait beaucoup touché, frère Irénée ; elle  comporte aussi
une promesse de vie, que je reçois comme un signe d’espérance pour nous
aujourd’hui, « notre  sixième  petit-enfant qui va naître ‘incessamment, sous peu,
peut-être bien aujourd’hui’… ce sera un petit garçon, Léo, franco-brésilien ».
Ainsi celui qui vivait son chemin de croix a donné à un inconnu de reconnaître la
force de la vie, de fortifier sa foi… 
Il a donné la vie, sa vie, mais il ne le savait pas, on ne sait jamais ce qu’on donne, on
porte sa croix.
La foi chrétienne est dans ce décalage, comme cet autre décalage entre une liturgie
qui nous invite à chanter alléluia quand nous sommes submergés par la tristesse.
Frère Irénée aimait la liturgie. Sa dernière lettre a pour en-tête « Haec dies », « Voici
le jour », c’est-à-dire Pâques, ce grand jour qui dure huit jours pendant lesquels on
chante tous les jours et inlassablement le Ps 117 et surtout ce verset : « voici le jour
que fit le Seigneur, jour d’allégresse et jour de joie. » ; c’est le graduel que nous
avons chanté.
Vivre la liturgie,  c’est consentir à habiter ce décalage qui nous force à sortir de
l’émotion personnelle pour découvrir une autre vie, celle qui résiste à nos coups de
cœur comme à nos coups de déprime, celle de la Parole de Dieu, qui ne passe pas.
Frère Irénée était passionné par cette Parole de Dieu, par l’Ecriture sainte qu’il
étudiait et enseignait ; que nous disent les textes que nous avons entendus ?
Le combat de Jacob, c’est la lecture que frère Irénée avait lui-même choisie pour sa
profession solennelle, en 98. Ces lignes nous parlent de lui et de Dieu.
De lui, parce qu’il fut obstiné comme Jacob, ne lâchant pas le  combat, difficile à
désarmer, « teigneux », comme on dit, dans sa vie personnelle et communautaire.
De lui, parce qu’au sein même de son engagement dans la vie monastique, avec le
goût très fort de la communauté que nous lui avons connu, avec l’amour qu’il portait
à sa famille, il avait conscience de mener surtout un combat SINGULIER, un face à
face avec Dieu, dans lequel il nous était le plus souvent impossible de le rejoindre et
de l’aider.
Ce texte nous parle aussi de Dieu : un Dieu nocturne qui vient provoquer Jacob, qui,
d’une certaine façon lui barre la route, l’empêche de franchir le torrent qui le sépare
de la Terre Promise, mais aussi un Dieu qui bénit celui qui lutte et qui ne le lâche
pas.
L’évangile de ce jour nous dit que ce combat est celui de la foi. Les disciples
entendent Marie-Madeleine dire que Jésus est vivant, et « ils refusent de croire » ;
les deux qui  l’ont vu en chemin, « ils ne les crurent pas non plus », alors il se manifeste et « il leur reprocha leur incrédulité et leur endurcissement parce qu’ils
n’avaient pas cru ceux qui l’avaient vu ressuscité ».
Mais c’est ceux-là, les Apôtres, nos modèles, durs de cœur, incroyants, mal-croyants,
qu’il envoie quand même proclamer la Bonne Nouvelle à toute la création !
Jésus ne nous donne pas comme modèles des gens parfaits, des croyants
extraordinaires, mais des obstinés, qui acceptent d’être déchirés entre le témoignage
de la Parole et la résistance de leurs yeux, de leur terrible lucidité.
Marcel Légaut écrivait : « La foi nue est en l’homme le fruit de l’union de sa fidélité
et de sa lucidité. » Et Charles de Foucauld : « Je me cramponne à la foi, je ne sais
plus si j’aime Dieu et je ne sais plus s’il m’aime, il ne me le dit jamais. »
Frère Irénée, tu m’avais reparlé récemment d’une colère qui t’avait emporté parce
qu’un frère, à Rome, avait parlé en termes péremptoires de  ta foi. Tu lui avais dit :
« ne parle pas de ma foi ; tu ne sais rien de ma foi. » Et tu n’aimais pas « les gens
qui savent tout très bien » !
Notre vie commune ne tient pas parce que nous nous connaissons les uns les autres,
mais parce que nous nous efforçons de nous CROIRE les uns les autres, et c’est très
différent.
Aujourd’hui, nous te confions à Celui qui seul te connaît et qui t’aime, et dont la
lucidité ne diminue en rien l’amour et la tendresse.
Amen, alléluia.
Frère David